Rubrique mise en ligne conjointement sur les sites Edouard Glissant.fr, Sjperse.org et Tout-Monde.com.
Le déroulement même du colloque est indissociable d'une conception ouverte de la lecture et de l'étude herméneutique généralement dévolue aux rencontres universitaires de cet ordre, conception rehaussée d'un impératif de transmission. Il s'agit, en dehors même des séances de travail, de transmettre les repères des oeuvres considérées. Ce sera l'office des projections vidéos prévues, des quelques films monographiques réalisés à propos de Perse, Césaire et Glissant, au cours de chacune des journées du colloque. Ce sera aussi la perspective de la commémoration du Congrès de 1956, par lequel s'ouvrira le colloque, le mercredi 19.
Lors de la troisième journée du colloque, le vendredi 21 septembre, sera déployée à la Maison de l'Amerique latine une exposition exceptionnelle, elle aussi conçue dans la perspective des "regards croisés". Une exposition monographique et photographique qui réunira le souvenir des trois poètes et confrontera leurs parcours individuels. Parce qu'ils furent, chacun à leurs façons, des figures marquantes de la littérature et de l'Histoire du siècle, parce qu'ils représentent des points de repères identifiables pour tout un chacun, à une parole qui a su essaimé au fil du temps, il était important de ménager cette visualisation dans notre sillage.
La table ronde qui clôturera les séances de travail proprement dites du colloque, le vendredi 21 dans l'après-midi, représentera à peu de choses près le pari d'un témoignage exceptionnel, dans l'optique des "présences" de Saint-John Perse, Aimé Césaire et Edouard Glissant : il s'agira, en somme, de témoigner de leur trace, dans cette mémoire de la littérature qu'incarnent les écrivains eux-mêmes. Nous avons sollicité des figures essentielles de la littérature d'aujourd'hui pour dire ces présences et les décliner, entre légitimes tributs, héritages artistiques et sipirituels, mais aussi en tant que creusets de la création et de la réflexion en notre temps.
... Or je hantais la ville de vos songes et j'arrêtais sur les marchés déserts ce pur commerce de mon âme, parmi vous
invisible et fréquente ainsi qu'un feu d'épines en plein vent.
Puissance, tu chantais sur nos routes splendides !... « Au délice du sel sont toutes lances de l'esprit... J'aviverai du sel les bouches mortes du désir !
« Qui n'a, louant la soif, bu l'eau des sables dans un casque,
« je lui fais peu crédit au commerce de l'âme... » (Et le soleil n'est point nommé, mais sa puissance est parmi nous.)
Homme, gens de puissière et de toutes façons, gens de négoce et de loisir, gens des confins et gens d'ailleurs, ô gens de peu de poids dans la mémoire de ces lieux ; gens des vallées et des plateaux et des plus hautes pentes de ce mondes à l'échéance de nos rives ; flaireurs de signes, de semences, et confesseurs de souffles en Ouest ; suiveurs de pistes, de saisons, leveurs de campements dans le petit vent de l'aube ; ô chercheurs de points d'eau sur l'écorce du monde ; ô chercheurs, ô trouveurs de raisons pour s'en aller ailleurs,
vous ne trafiquez pas d'un sel plus fort quand, au matin, dans un présage de royaumes et d'eaux mortes hautement suspendues sur les fumées du monde, les tambours de l'exil éveillent aux frontières
l'éternité qui bâille sur les sables.
En des termes innovants, en des accents inédits, ce colloque fera accueil avec passion et ferveur, à la parole poétique elle-même, en sa présence brute. Il s'agira, constamment, de rappeler cette incandescence de la parole que les trois poètes ont en commun, raliant ainsi l'étude des textes auquel s'adosseront les réflexions des uns et des autres, à l'indépassable ampleur du poème, donné à entendre et à ressentir. La soirée du 21 septembre au New Morning y pourvoiera bien sûr ("Traversée des archipels de la parole"), mais tout au long du colloque également, ce lien sera aussi clamé, en des voies qui seront à découvrir.
I.
La boue des mornes descend rougir les coutelas. Présence, ô flots ! Un homme en son discours régit les brumes des flambeaux, il voit
L'image qu'ont levée sa poitrine, ses mots. il noue la nuit parmi les cannes et les eaux. Il dit l'argile sur le corps, et puis ce mot.
Il crie.
Je fus en ce pleurer, où j'écoutais la nuit.
II.
Temps anciens. Temps nubiles. Trouées d'espaces. Mâts ! Le premier sel gardé au creux d'une main laisse
Ô lumière, matin qui te redresses sur ton âge.
Un veneur crie dans son étonnement, il part
Avec ce goût de rêve et d'amertume sur la peau,
L'aube vacille, ah il est beau de redescendre
par la mer de silence et cette aisance où vous brillez,
Aubes ! Pour moi,
Je ne regrette rien. Le temps est là.
D'autres étoiles vont chanter
Dans la noirceur vorace de ce lé.
III.
Les hommes descendront la rue de boue, ils entreront, ils commettront leurs corps à l'oeuvre lente tellement. Le vent d'après-midi couvre les toits, les femmes lèvent à leurs yeux un pur éclat, les chiens progressent vers la mer (où sont les clairs festins de fumiers et de pouilles.)
Voyez, la mer m'a déporté vers la journée fertile, ô de si loin encore je progresse avec les flots vers cette abscence et cette face.
Et si vous retenez de ma parole seulement ce goût de terres emmêlées, je n'ai perdu mon temps ni en vain consumé la paille de ce coeur.
Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot
mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot ?
Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Je
dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies,
humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l'oeil des mots
en chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre.