Interrogé par Patrick Chamoiseau en 1993, Glissant revient sur deux souvenirs d'enfance : le bleu profond de la mer et la puissance des bouviers. (Les hommes-livres, INA, Jean-Noël Christiani)
Intervention d'Edouard Glissant au colloque « Paysage et poésies francophones » (5 juin 2002, Université de Paris III, Sorbonne nouvelle), dans lequel il évoque cette imprégnation singulière du paysage martiniquais dans sa psyché, depuis cette traversée première de l’île. Enregistrement réalisé par Gérard Le Moal, Christian Tortel et Federico Nicotra, pour RFO.
Edouard est un excellent élève, et en 1938, il est reçu à l’examen des bourses donnant le précieux sésame pour le lycée. Il va pouvoir intégrer le prestigieux Lycée Shoelcher de Fort-de-France. Avec l’entrée au lycée, la fin de l’enfance et l’accès au savoir des humanités.
Les escapades de l’écolier sont fréquentes en pleine campagne, accompagnant son père sur les plantations. Bien des années plus tard, il racontera dans La Lézarde avoir fréquemment accompagné sa mère lors des lessives sur ce bras de mer qui parcourt l’arrière-pays du Lamentin (« Je connais cette Lézarde des lessives »). La famille connaît alors de sérieuses difficultés matérielles, et les restrictions sont légion.
Ecole primaire au Lamentin, dans une atmosphère studieuse où il est hors de question pour les enfants de parler le créole, soumis au strict apprentissage d’une discipline d’étude et de rigueur (qui contraste bien avec la vie turbulente et sauvage des enfants du bourg et des alentours que mène pourtant le petit Edouard, affrontant la sévérité de sa mère). L’école de la Troisième République dans toute sa splendeur, rehaussée de l’autorité coloniale.
Il est aussi enfant de chœur et fait partie des scouts – il lui en restera un sens aigu de la camaraderie (sur la photo du bas : accroupi, à droite).
Edouard Glissant naît en Martinique le 21 septembre 1928 à Bezaudin, morne qui fait partie de la commune de Sainte-Marie, dans le Nord de l’île. Issu d’une famille de cinq enfants, il porte alors le nom de sa mère, Godard (son père le reconnaîtra lors de sa réussite à l’examen des bourses, marquant son entrée au Lycée). Son père est géreur d’Habitation, personnage haut en couleur qui place l’enfant au contact de la réalité coloniale : grande autorité et respect de l’ordre établi. Le lieu de la naissance sera essentiel dans l’imaginaire du futur écrivain : Glissant a souvent parlé de l’empreinte indélébile laissée par ce paysage premier, ressenti, vécu, intériorisé par l’enfant, qui est à quelques mois transporté au Lamentin, cœur urbain du centre de l’île. C’est cette traversée originelle qu’il rapporte encore dans le cinquième volume de sa Poétique récemment publié, La Cohée du Lamentin :
« Adrienne ma mère, peut-être considérée bien hardie d’avoir mis au monde un autre petit Nègre, me prit sous un bras et descendit la trace du Morne qui menait au bruit éternel de l’eau coulant là en bas. J’avais un peu plus d’un seul mois d’existence, et il faut douter si j’entendais ce bruissement qui sillonnait dans l’air et semblait arroser toutes choses. Pourtant je l’écoute encore en moi. L’intense végétation ne présentait pas une faille, pas une éclaircie, mais le soleil la perçait généralement avec une violence sans rage, je les vois encore, nuit bleue des branchages et des lames des feuilles et vivacité du jour. »
Edouard Glissant, La Cohée du Lamentin, Paris, Gallimard, 2005.
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