CE QUE NOUS DIRA GLISSANT. Citations pour des jours calcinés.
Traité du Tout-Monde (1997) :
"On nous dit, et voilà vérité, que c'est partout déréglé, déboussolé, décati, tout en folie, le sang le vent. Nous le voyons et le vivons.
Mais c'est le monde entier qui vous parle, par tant de voix bâillonnées.
Où que vous tourniez, c'est désolation. Mais vous tournez pourtant."
Une nouvelle région du monde (2006) :
"Ô souffrance, comme hiver aux sources des profondeurs... Alors que nous vaguons loin des malheurs des peuples du monde, que nous nous en croyons préservés par cet éloignement, mais que nous ne nous éprouvons pas encore assez distraits d'eux par trop d'indifférence, nous avons l'intuition de ce que pourrait être la somme de ces malheurs. Comme si d'en imaginer la totalité diminuerait le poids de chaque souffrance particulière. Les tourments des humanités n'ont-ils donc pas de fin ?"
La terre inquiète (1955) :
"Incantation"
"« Écoutez, je vous découvre et considère, je suis juste. Tant de neige. Pourtant j'étais d'une autre lave, ô tranquilles.»
- Dans la mi-matin, à peine si un phare faisait de l'ombre la cathédrale de son vol.
« Voyez mes plaies et les cicatrices de mes plaies. Voyez mes orages, mes flux. Je meurs encore, vous qui passez. »
- Ô brousses ô ravins ô foules ô meurtris.
Ô les pays sans épaisseur et les nuits pâles !"
"Promenoir de la mort seule"
"La baie triste n'a pas bougé
Sur un lac de roses, jonchée
De morts pâlis dans les rosiers
Baie funèbre elle est demeurée
La rive hésite la mer passe
Les barques sont laveuses d'eau
Noir est le sable, la couleur
Est évidente dans ce lieu
Les oiseaux y vêtent de gris
L'azur trouble de leurs envols
Telle évidence a rendu folle
La première vague échouée
Vagues de folie en folie
Hâves les autres ont suivi
Les rosiers ont gardé l'aumône
Des suicidés, à leurs replis
La race blanche des frégates
Jamais ne vient à ces repas
Elles vont sonner d'autres glas
Où le vent ne porte point gants
Ici ne bougent que l'émoi
Du souvenir et ce haut cri
Qu'un midi d'août on entendit
Sur la falaise et son troupeau
Un cri de terre qui déploie
Les nervures de sa feuillée
Parce qu'amour l'aura fouillée
Ou que la pluie est avenante
Un cri de femme labourée
À la limite des jachères
Ses seins nubiles partagés
Entre la misère et la mousse
Cri de verrous et cri d'orfraie
Et ce peuple était endormi
L'oiseau rapace fait son nid
Sur la cendre de l'arbre, vive
Et ne bouge encore que lait
Des goémons cette senteur,
La mort vivifie la mort
Baie funèbre elle est demeurée
Mais triste elle n'a bougé
Sur son mac de haines, jonchée
De morts pâlis dans les halliers
Qui vous pardonnent, ô rosiers."
Toute reproduction du contenu du site est libre de droit (sauf cas d'utilisation commerciale, sans autorisation préalable), à condition d'en indiquer clairement la provenance : url de la page citée, indication de l'auteur du texte.
© Edouard Glissant - Une pensée archipélique. Site officiel
d'Edouard Glissant conçu, écrit et réalisé par Loïc Céry